La Croix - La leçon de lecture de Browning par Chesterton

 La Croix - La leçon de lecture de Browning par Chesterton
17 2009

La leçon de lecture de Browning par Chesterton

Lorsque deux esprits éminents se rencontrent

C'est presque une gageure pour le critique… Quels arguments va-t-il trouver pour convaincre le lecteur français d'aujourd'hui de lire sans tarder la biographie du poète victorien Robert Browning (1812-1889) écrite par un autre anglais, G.K. Chesterton (1874-1936) ? Qui plus est un livre de commande, l'un des premiers du créateur du Père Brown, publié en 1903. Pas de quoi rameuter les foules, dira-t-on. Or, ce livre est une manière de chef-d'œuvre qui, dès les premières pages, met l'esprit du lecteur en éveil et en fête.

Le même éditeur, Le Bruit du temps, avait, pour inaugurer son catalogue au début de cette année, publié, en bilingue, le maître livre de Browning, L'Anneau et le Livre. Près de 1 500 pages, plus de 20 000 vers, de ce que Chesterton justement définissait comme « la grande épopée du XXe siècle » ou « la grande épopée de l'énorme importance des petites choses », ou encore « la formidable amplification d'un petit sujet ». La timidité que l'on peut éprouver devant une telle œuvre – que l'auteur plaçait dans la lignée de L'Iliade et de La Divine Comédie – trouvera un excellent remède dans la biographie dont nous parlons, introduction à l'œuvre de Browning en même temps que préface à The Ring and the Book.

Une biographie, donc, mais sans les lourdeurs et les contraintes que l'on a l'habitude d'attacher au genre. Un découpage classique (la jeunesse, le mariage, la maturité, l'art poétique…) mais pas de date, ou presque. Pas d'anecdotes, de ragots, de reconstitutions d'époque, de manie du détail. À la place, un tableau aux vastes et belles proportions, admiratif et sans complaisance, des hypothèses audacieuses, des rapprochements inattendus, de féconds paradoxes, une foule d'analyses et des interrogations sur le pourquoi et le comment de la littérature… Et même des conseils très utiles pour « tous les hommes de lettres qui ne veulent pas sacrifier l'homme en ne gardant que les lettres ».

                                                                                                          Patrick Kéchichian