La Croix - Nicolas de Staël, l’incandescent

 La Croix - Nicolas de Staël, l’incandescent
06 novembre 2014

Nicolas de Staël, l’incandescent

Correspondance. Riche de 200 inédits, cette nouvelle édition des lettres du peintre révèle sa dernière passion, qui le consuma jusqu’à son suicide.

« Il ne suffit pas de se nourrir simplement pour tenir debout, il faut brûler sans cesse pour construire quoi que ce soit de durable. » Cet aveu livré par Nicolas de Staël à son ami, le collectionneur Jean Bauret, pourrait résumer toute sa vie d’artiste. Une traversée fulgurante de quarante et un ans, entrecoupée de passions et d’amitiés intenses, d’élans enthousiastes face à la beauté du monde, « la tendresse des nuages », la fulgurante lumière du Midi, mais aussi de doutes vertigineux. Une existence dans laquelle la peinture apparut tôt comme la seule issue pour, écrivait-il, « m’aider à vivre, me libérer de toutes les impressions, toutes les sensations, toutes les inquiétudes... ».

Remarquablement annotée par Germain Viatte, la nouvelle édition de la correspondance du peintre nous plonge au cœur de sa frénésie créatrice, depuis ses premiers voyages en Espagne et au Maroc où ce jeune homme affamé et sans un sou cherche désespérément son style, jusqu’à ses ultimes recommandations aux amis précédant son suicide, le 16 mars 1955.

La mort en 2012 de Françoise de Staël, l’épouse de l’artiste à qui l’on doit le catalogue raisonné de ses peintures, puis de ses dessins, a permis de publier aujourd’hui plus de 200 nouvelles lettres inédites. Celles-ci révèlent la dernière liaison du peintre avec Jeanne Polge, décédée à son tour cet été. « Jeanne est venue vers nous avec des qualités d’harmonie d’une telle vigueur que nous en sommes encore tout éblouis. Quelle fille, la terre en tremble d’émoi, quelle cadence unique dans l’ordre souverain », confie Nicolas de Staël au lendemain de leur première rencontre, à son grand ami, le poète René Char. Les toiles incandescentes de Sicile où la jeune femme mariée l’accompagne, puis celles glacées d’Antibes, témoigneront en secret de cet amour bientôt malheureux, que les lettres, enflammées parfois jusqu’à l’incohérence, confirment.

Jean Grenier a joliment décrit ce tempérament impétueux du peintre, qui le faisait penser à un « pur-sang. Très grand, Très mince et presque efflanqué, la tête toujours un peu frémissante et tournée d’un côté puis d’un autre, le corps nerveux et comme piaffant ». Dans la vie, comme dans son art, Nicolas de Staël aura toujours eu « besoin d’élever (s)es débats à une altitude unique». Ses jugements tranchés sur ses pairs en attestent, de même que ses exigences à l’égard du jeune poète Pierre Lecuire, dont il corrige presque mot à mot les écrits sur sa peinture. Dans ses échanges avec ses marchands, de Staël peut aussi se faire mordant. « Croyez moi », lance-t-il à l’Américain Paul Rosenberg, qu’il surnomme en privé « Rosy » : « Je tiens à mes tableaux comme à ma propre peau et ne les massacres qu’en conséquence. »

Cette écriture très imagée et colorée du peintre, alliée à sa capacité constante d’émerveillement, fait d’ailleurs tout le sel de cette correspondance. Certains jours, l’artiste ausculte le processus de création, dans des formules devenues fameuses : « On peint à mille vibrations le coup reçu » ! Parfois, il condense sa pensée en un simple haïku : « Rien de plus violent que la douceur » ou encore « Ne jamais penser au définitif, sans l’éphémère ». Ailleurs, il livre ce conseil en fin stratège : « N’évaluer jamais l’espace trop rapidement. Il y a des petites pommes de pin toutes ratatinées dont l’odeur nous donne une telle impression d’immensité que l’on se promène à Fontainebleau en étouffant dans cette forêt comme dans une mansarde à nains. »

                                                                                                Sabine Gignoux