La Revue de Belles-Lettres - « L’Âme bridée » de Pierre Pachet

 La Revue de Belles-Lettres - « L’Âme bridée » de Pierre Pachet
01 janvier 2015

« L’Âme bridée » de Pierre Pachet

L’Âme bridée, essai sur la Chine aujourd’hui n’est l’œuvre ni d’un économiste, ni d’un politologue, ni d’un sinologue, mais d’un homme dont la pensée ne cesse de s’exercer en dehors des écoles, en s’éprouvant elle-même à partir du don reçu de ses parents, du passé étudié, de l’exigence d’être un individu conjuguée à l’obligation ressentie du souci du bien commun. Ce qui a rendu ce livre nécessaire à son auteur, c’est d’avoir aperçu face aux abondantes études économiques sur la Chine la rareté d’une réflexion proprement politique la concernant. Ce point aveugle fait écho à la sensation qui le saisit lors de deux voyages en Chine d’une sorte de pacte entre la société et le pouvoir pour tenir le politique à l’écart. Pacte explicable par le passé, mais qui maintient douloureusement la population en situation de blocage. Pierre Pachet, rapprochant pour nous le temps historique du temps individuel, désire voir de son vivant l’effritement dit-il (plutôt que l’effondrement) du pouvoir qui tient la Chine captive. Contemporain de la mort de l’URSS, il peut en envisager la possibilité bien qu’il mette en lumière une différence entre les deux empires: la personnification du pouvoir a disparu dans la Chine actuelle au profit du « Comité Permanent du Parti Communiste » désormais sans visage, et dont les têtes comme celles de l’hydre, repoussent d’autant plus aisément. Cette « organisation » des sept personnes les plus importantes du Parti, pour qui les valeurs du communisme ne sont plus que des symboles vides, dont les membres se surveillent les uns les autres, n’a d’autre projet politique que de conserver la totalité du pouvoir, d’un pouvoir devenu « nu et vide de sens » sur les vies, sur le présent, sur la justice, sur l’économie. Son mode opératoire est la brutalité tant sur les corps que sur les esprits. Deux forces, nous dit Pierre Pachet, lui permettent d’espérer voir son vœu s’accomplir : la nature et ses imprévisibles accidents qui broient les entreprises humaines, et l’individu en tant qu’il est « le gardien de l’âme ».

Car au long du livre, Pierre Pachet essaie de parler de l’âme, chinoise ou pas. Il est parti pour « scruter l’état de l’âme à Pékin » et reçoit le don de sa résistance non seulement chez certains individus, mieux nés peut-être pour parler comme La Boétie, mais aussi dans la volonté individuelle et collective d’améliorer sa vie, d’être actif, de faire de la gymnastique, de garder en mémoire les photos que la prudence a fait détruire, de se joindre aux Pétitionnaires selon une tradition devenue inefficace mais qui affirme le désir d’être entendu. Et c’est toute la beauté du livre que cette recension des personnes et des faits de résistance auxquels Pachet prête toute son attention et sa finesse. En chemin, le lecteur collecte ce qui nous est dit avec retenue et hésitation de l’âme : sa résistance d’abord, puis ses mouvements d’avancée vers le large et de retour sur soi, revirements dont elle a besoin, puis sa répartition en chacun à laquelle chacun se doit de veiller. Le livre, placé sous l’égide de l’amitié avec Claude Lefort, est une démonstration des mouvements de cette part d’âme.

                                                                                                Pascale Roze