Librairie Rêvalire - Rêvalire a lu Le temps passe de Virginia Woolf

 Librairie Rêvalire - Rêvalire a lu Le temps passe de Virginia Woolf
29 avril 2010

Rêvalire a lu Le temps passe de Virginia Woolf

Le titre déjà, c’est tout Virginia Woolf, Time Passes, ce n’est pas un constat banalissime, c’est un état chez V.W. Le temps a beau passer, elle n’a de cesse de le décrire passant. Dans Mrs Dalloway, une femme prépare sa soirée, depuis le matin quand elle va chercher des fleurs et traverse les rues de Londres, jusqu’au soir où elle reçoit les invités. Elle vit chaque seconde. V.W. offre au lecteur chaque sensation de ces secondes et les empilements de sensations et de réflexions et de souvenirs que nos consiences (comme celle de Mrs Dalloway) sont capables de vivre en même temps. Montre à quel point écouter, sentir, humer, voir, regarder battre le temps présent signifie vivre un amoncellemnt d’émotions différentes, infimes parfois, ou immenses. Montre aussi comment le même son, la même odeur, au même moment relie des êtres de différents lieux de la ville. Mrs Dalloway entend sonner St Paul, un ami qui doit venir à son dîner l’entend aussi, un autre encore, malade et affaibli… chacun dans une rue, un parc, tous informés de ce son, chacun renvoyé à des sensations intimes, ses souvenirs propres, et les uns aux autres puisqu’ils se connaissent en fait. Comment nos existences sont à la fois si individuelles et si reliées, nos émotions si intimes et nourries d’expériences si différentes mais tellement universelles. Mrs Dalloway est elle-même et nous-même à la fois. Le temps raconté est aboli dans le présent où tout se fond. Avec Virginia Woolf on apprend à sentir que l’on sent et que cela seul importe finalement. Que cela seul « reste ».

Dans Le temps passe, c’est tout cela aussi. Une langue toujours au service des sens et des pensées suggérées, des assauts d’émotions, des variations d’humeur. Une vie tellement exacerbée par le bouleversement permanent du passé-présent confondus, pétris l’un de l’autre, qu’elle en devient parfois saturée comme peut l’être l’air d’été de parfums, après la pluie. Ou l’air marin d’embruns quand le vent vient de la mer. Le temps passe est édité par les éditions « Le Bruit du temps », c’est presque trop beau tant c’est en adéquation avec le texte… Et les personnages, enfin les gens, appréhendés dans cette même totalité de l’être (son attitude, ses manières, ses bruits, ses pensées, ses souvenirs) que le sont les choses, les éléments naturels, les animaux, tout ce qui nous fait, nous... Dans Le temps passe, les gens et les choses, on les « sent », on les « sait », on les a « rencontrés » ; on est avec eux, dans ce paysage de l’orage passé, la maison…

« Brusquement, déchirant le voile du silence avec des mains qui avaient lavé la vaisselle, le broyant avec des bottines qui avaient écrasé le gravier, la vieille Mrs Mc Nab vint, comme on le lui avait ordonné, ouvrir toutes les fenêtres et nettoyer les chambres » (p. 31).

On est aussi là, dans de vagues anxiétés, des attentes, des petits affûts du temps,

« Mais qu’est-ce après tout qu’une nuit ? Un court espace, surtout lorsque l’ombre s’évanouit si vite, et que si vite un oiseau chante, un cop s’égosille, un vert pâle s’avive, comme une feuile qui se retourne, dans le creux de la vague. La nuit, cependant, succède à la nuit. L’hiver en tient un paquet en réserve et les débite également, impartialement, avec des gestes infatigables » (p. 23).

On est là, au présent. Et c’est une magie nostalgique qui étreint, aussi.