Note de lecture du CNL - Croquis étrusques de D.H. Lawrence

 Note de lecture du CNL - Croquis étrusques  de D.H. Lawrence
01 2010

Croquis étrusques  de D.H. Lawrence

« Mais à présent les tombes, cap aux tombes ! » Dès la deuxième page de ces Croquis étrusques, le ton est donné. De trains en omnibus, de tortillards en charrettes, c’est avec un enthousiasme et une énergie inépuisables que D.H. Lawrence sillonne, en avril 1927, les sites étrusques de Campanie et de Toscane. Déjà très affaibli par la tuberculose qui l’emportera trois ans plus tard, l’écrivain parcourt sans relâche, deux semaines durant, les nécropoles de l’antique Étrurie en compagnie de son ami Earl Brewster. Rien de morbide pourtant dans ce périple de l’outre-monde. Bien au contraire, le « calme étrange » de ces lieux funéraires saisit paradoxalement Lawrence et l’enchante, cette « curieuse tranquillité » qui contraste à ses yeux avec les atmosphères angoissantes des sites celtes, romains ou mexicains. Une paix qui lui donne l’impression qu’une « âme, ici, pouvait trouver sa place ». Chez les Étrusques, le monde des morts est un endroit joyeux, répète Lawrence comme un leitmotiv. La mort y semble un prolongement agréable de la vie ainsi qu’on le découvre au fil d’une exploration ethnologique d’autant plus émouvante qu’elle est écrite par un homme qui se sait gravement malade mais que cette plongée au cœur d’un monde disparu depuis plus de vingt siècles régénère littéralement. Si la fascination de Lawrence pour ce qu’il nomme le « sortilège étrusque » est ancienne (on trouve déjà une référence au « secret des Étrusques » dans Cyprès, un poème écrit en septembre 1920 en Toscane), il faut attendre 1926 pour que soit mis au point un projet d’excursion, lequel doit finalement être reporté à l’année suivante pour cause de mauvaise santé, tandis que la deuxième excursion prévue afin de compléter le livre n’aura jamais lieu. Ce texte publié en 1932, deux ans après la mort de Lawrence, est donc le dernier opus d’une œuvre aussi prolifique qu’importante dont il n’est pas inutile de rappeler qu’elle comprend de nombreux romans, nouvelles, recueils de poésie mais aussi une abondante correspondance, des essais sur la psychanalyse et des récits de voyage que le scandaleux Amant de Lady Chatterley a quelque peu éclipsés. Procédant tout à la fois du carnet de l’esthète érudit, du petit précis d’archéologie, de l’étude anthropologique et de la méditation spirituelle, les Croquis étrusques sont un livre atypique dont Lawrence décrit la méthode peu orthodoxe dans une lettre de 1926 citée en annexe : « je vais simplement me jeter à l’eau et avancer, et me faire éreinter par toutes les autorités en la matière ! Il n’y a presque rien à dire, d’un point de vue scientifique, sur les Étrusques. Je dois emprunter la voie de l’imagination ». Rien d’étonnant dans ces conditions à ce que l’on retrouve dans les descriptions de la vitalité étrusque le thème de la conscience phallique, une des idées maîtresses de L’Amant de Lady Chatterley, dont Lawrence achève la dernière version au moment même où il rédige le récit de son pèlerinage en Étrurie.

Mais au delà de l’exposé synthétique des convictions les plus profondes de leur auteur, le charme puissant de ces instantanés réside dans leur faculté de croquer sur le vif les silhouettes peintes sur les murs des tombes de telle manière qu’elles acquièrent une vraie présence charnelle tandis que leurs lointains descendants, villageois croisés au gré de son chemin, semblent à leur tour tout droit issus d’un monde ancien. Qu’il décrive l’antique visage de faune d’un berger, de belles paysannes à l’insouciance toute païenne ou qu’il établisse enfin un parallèle peu flatteur entre Rome « avec un très grand R » qui avait anéanti le peuple étrusque et les fascistes italiens au pouvoir, Lawrence excelle dans ces allers et retours saisissants entre passé et présent.

À ces Croquis étrusques qui reçurent un accueil mitigé et furent décrits comme un livre « léger, désinvolte », les éditions Le Bruit du temps offrent une seconde vie à la mesure de leur qualité. La très belle traduction du poète et essayiste Jean-Baptiste de Seynes, l’appareil critique soigné avec carte, le précis d’histoire étrusque, la notice détaillée de la genèse à la réception de l’œuvre empruntée à l’édition dite de Cambridge, et enfin une nouvelle iconographie établie à partir de meilleurs tirages des clichés de paysages choisis par Lawrence en font un véritable livre d’art sur lequel semble souffler « l’esprit dansant des Étrusques ».

                                                                                                            Carole Vantroys