Anthologie permanente : Jean-Luc Sarré
On les appelait langostas,
les juifs en faisaient leurs délices
"Jean-Baptiste se nourrissait
de sauterelles et de miel sauvage"
elles s'abattaient sur les jardins,
les glacis, dévastaient les semences,
d'autres encore, et en grand nombre,
épuisées par leur migration
jonchaient au printemps les trottoirs.
Aujourd'hui encore il arrive
que ces sauterelles me ferment les yeux
quand la chimie n'y parvient pas
et dans ma chute j'entends alors
le son de ta voix m'enseigner
ce que cet homme que nous croisons
apparemment ne maîtrise pas :
l'art de nouer une cravate.
Noeud simple, Windsor, demi Windsor,
pathétique savoir-faire de qui,
devant une glace, se voudrait
paradoxalement unique.
Je ne la porterai jamais
que sur un col déboutonné :
cette négligence était-elle feinte ?
J'étouffais, j'étouffe encore,
ne cesser de l'écrire c'est vivre
sous assistance respiratoire.
•
Les stores absorbent un peu du chahut des cigales.
Je ne crois pas les avoir jamais entendues
dans ma jeunesse, de l'autre côté de la mer,
mais je me souviens de cette ferme, de sa terrasse
dominant le vignoble et des grillons aussi
qui stridulaient au clair de lune, et cette même nuit
dans une citerne d'eau de pluie, de la couleuvre
qu'un ami avait tenté de récupérer
avec un bâton - était-ce pour la tuer ? et ...
Le passé : une épave où foisonnent les images ;
inutile pourtant de plonger pour la piller,
il suffit de savoir écouter la pénombre
et le bourdonnement du réfrigérateur.
Jean-Luc Sarré, Autoportrait au père absent, Éditions Le Bruit du temps, 2010, pp. 18 et 19 et 87
Florence Trocmé