Poezibao - Anthologie permanente : Jean-Luc Sarré

 Poezibao - Anthologie permanente : Jean-Luc Sarré
02 juillet 2010

Anthologie permanente : Jean-Luc Sarré

On les appelait langostas, 
les juifs en faisaient leurs délices 
"Jean-Baptiste se nourrissait 
de sauterelles et de miel sauvage" 
elles s'abattaient sur les jardins, 
les glacis, dévastaient les semences, 
d'autres encore, et en grand nombre, 
épuisées par leur migration 
jonchaient au printemps les trottoirs. 
Aujourd'hui encore il arrive 
que ces sauterelles me ferment les yeux 
quand la chimie n'y parvient pas 
et dans ma chute j'entends alors 
le son de ta voix m'enseigner 
ce que cet homme que nous croisons 
apparemment ne maîtrise pas : 
l'art de nouer une cravate. 
Noeud simple, Windsor, demi Windsor, 
pathétique savoir-faire de qui, 
devant une glace, se voudrait 
paradoxalement unique. 
Je ne la porterai jamais 
que sur un col déboutonné : 
cette négligence était-elle feinte ? 
J'étouffais, j'étouffe encore, 
ne cesser de l'écrire c'est vivre 
sous assistance respiratoire. 
• 
Les stores absorbent un peu du chahut des cigales. 
Je ne crois pas les avoir jamais entendues 
dans ma jeunesse, de l'autre côté de la mer, 
mais je me souviens de cette ferme, de sa terrasse 
dominant le vignoble et des grillons aussi 
qui stridulaient au clair de lune, et cette même nuit 
dans une citerne d'eau de pluie, de la couleuvre 
qu'un ami avait tenté de récupérer 
avec un bâton - était-ce pour la tuer ? et ... 
Le passé : une épave où foisonnent les images ; 
inutile pourtant de plonger pour la piller, 
il suffit de savoir écouter la pénombre 
et le bourdonnement du réfrigérateur. 

Jean-Luc Sarré, Autoportrait au père absent, Éditions Le Bruit du temps, 2010, pp. 18 et 19 et 87

                                                                                                              Florence Trocmé