Télérama - Exposition Léon Chestov, un philosophe russe à découvrir, par Gilles Heuré

 Télérama - Exposition Léon Chestov, un philosophe russe à découvrir, par Gilles Heuré
25 mars 2016

Exposition Léon Chestov, un philosophe russe à découvrir

Léon Chestov, intellectuel russe peu connu, fut proche de Gide, Bataille ou Camus. Une exposition lui est consacrée à la mairie du 6earrondissement à Paris. À voir jusqu’au 9 avril 2016.

« Ah, Chestov et les questions qu’il sait poser, la mauvaise volonté qu’il sait montrer, l’impuissance à penser qu’il met dans la pensée », s’exclamait Gilles Deleuze dans Différence et répétition. Léon Chestov (Kiev, 1866-1938), de son vrai nom Lev Isaakovitch Schwartzmann, est de ces intellectuels mal connus qui ont pourtant inspiré, voire influencé, d’autres penseurs dont les œuvres sont plus réputées. Il fait d’abord du droit avec une thèse sur la législation ouvrière en Russie qui est jugée trop subversive pour être publiée.

« J’ai été révolutionnaire depuis l’âge de 8 ans au grand désespoir de mon père, écrivit-il. Je n’ai cessé de l’être que beaucoup plus tard, lorsque le socialisme “scientifique”, marxiste, eut fait son apparition. » Au tournant du siècle, il fréquente les anarchistes, écrit sur la littérature – Pascal, Tolstoï, Dostoïevski, Nietzsche – et entame une œuvre philosophique. Il expliquera que son premier professeur de philosophie fut Shakespeare : « C’est lui qui m’a appris cette chose si énigmatique et inconcevable, et en même temps si dangereuse et inquiétante : le temps est sorti de ses gonds. »

Loi morale, rationalisme, théologie, tragédie : il opère toutes les connexions intellectuelles. « C’est clair, écrit-il dans Audaces et soumissions, la philosophie n’est pas considérée conmme une science, le philosophe n’est pas considéré comme un savant, puisqu’on exige de lui qu’il soit sincère. Le philosophe est avant tout un témoin, évidemment ; et il témoigne de quelque chose que l’on ne peut vérifier. S’il en est ainsi, il lui faut être sincère et véridique. Mais comment pourrait-il l’être ? »

Et de s’interroger sur la sincérité des témoignages de philosophes. Dans ce texte qui figure dans l’ensemble Sur la balance de Job, publié dans les années 20, on songe à d’autres types de sincérité ou de témoignages. Dans Qu’est-ce que le bolchevisme ?, paru en 1920 (réédité par Le Bruit du temps en 2015), Chestov voyait se mettre en place un système politique qui allait anéantir toutes les espérances que la Révolution avait pu inspirer.

Exilé en France, il continuera à écrire son œuvre, étant en relation avec Gabriel Marcel, André Gide, Georges Bataille. Plus tard, c’est Albert Camus qui sera un lecteur attentif des textes de Chestov. Peu connu donc, mais à découvrir grâce aux éditions Le Bruit de temps qui s’attèlent à la réédition de son œuvre. La dernière parution est Sur la balance de Job. Pérégrinations à travers les âmes (traduit du russe par Boris de Schoezer, nouvelle édition présentée par Isabelle de Montmollin, 600 p., 34 €). L’exposition est riche de nombreux documents, manuscrits, photographies, dessins qui restituent non seulement les contacts intellectuels que Chestov a pu entretenir tout au long de sa vie, mais aussi les vues de Saint-Pétersbourg au tournant des XIXe et XXe siècle.

L’exposition consacrée au 150 ans de la naissance de Léon Chestov, « Léon Chestov 1866-1938. La pensée du dehors », se tient à la mairie du 6e arrondissement à Paris, Salon du Vieux-Colombier, 78, rue Bonaparte, 75 006, jusqu’au 9 avril 2016. Catalogue très complet et abondamment illustré, édité par la Société d’études Léon Chestov - Le Bruit du temps, 192 p., 35 €.

Gilles Heuré