À première vue, ce livre très singulier pourrait apparaître comme une simple galerie de portraits d’écrivains et d’artistes. Ou même, pour une bonne part de ses pages, comme une petite histoire de la littérature suisse romande d’après-guerre, où l’auteur reconstitue, à la suite d’une longue enquête sur les lieux, la figure de son plus prestigieux éditeur, Henri-Louis Mermod avant d’évoquer ses propres rencontres avec les écrivains que ce dernier avait publiés (Gustave Roud, Philippe Jaccottet) ou qui sont apparus dans son sillage (le romancier Jacques Chessex, la poétesse Anne Perrier). Mais ce serait là faire fausse route, ne s’attacher qu’à la liste des noms évoqués qui, avec le peintre Garache ou le poète Pierre Oster, finit par excéder les limites géographiques d’un pays. Le texte liminaire est d’ailleurs très clair, il s’agit en réalité d’une sorte de roman d’apprentissage et même plutôt, toute proportion gardée bien sûr, comme dans La Recherche, du récit d’une vocation. Paradoxalement, alors même qu’Amaury Nauroy va à rebours du Contre Sainte-Beuve et que, loin de s’en tenir aux œuvres seules, il semble s’intéresser d’abord au quotidien des artistes qu’il approche et même aux aspects les plus anecdotiques de leur existence, c’est bien à Proust qu’il peut faire penser par cette manière de faire vivre sous nos yeux, avec la vivacité d’un Saint-Simon (autre modèle revendiqué), et sans complaisance aucune, toute une petite société. Et s’il s’attache à la décrire, dans une prose alerte, pleine de fantaisie, « vagabonde et imprévisible », plus proche de Charles-Albert Cingria, qui n’apparaît qu’en passant dans ces pages, que des modèles autour desquels elles tournent, c’est qu’il est moins à la recherche d’une écriture que d’une leçon de vie, n’analysant pas les œuvres mais s’attachant à comprendre de quelles expériences elles naissent, de quelle nécessité vitale, et avec quelle endurance elles tentent de maintenir une joie, un enthousiasme, en dépit de tout ce qui contribue à nous déposséder de nous-mêmes. Ne négligeant pas l’anecdote, le narrateur réussit à nous faire aussi partager les moments d’épiphanie, comme cette présence des montagnes, soudain perçue au buffet de la gare de Lausanne : « quelque chose d’invisible dans l’air m’a paru pousser d’en bas vers le haut sur le ciel ; une lointaine, mais très énergique pression de ces rocs sur le vide alentour, m’a atteint de plein fouet ».
Longtemps, le narrateur de Rondes de nuit a vu dans les personnages du tableau de Rembrandt auquel il emprunte son titre, « une mystérieuse ronde de poètes », lui-même s’identifiant à l’enfant ébahie d’être là, « à qui la parole manque », au centre de la composition. Plus tard, au cours de l’ouvrage, sa compréhension du sens du tableau s’approfondira pour y voir désormais « la connivence des vivants et des morts sans quoi toute vie demeure irrespirable ». Les deux côtés de son existence se rejoignent, le portrait du grand-père paysan peut alors figurer dans le livre à côté de ceux de la famille d’élection.
La première édition de ce livre a été très bien accueillie aussi bien en France qu'en Suisse Romande.
« Ce livre est une merveille. » (Jérôme Garcin, Le Masque et la plume, 1er octobre 2017)
« L'ouvrage le plus original, le plus inattendu, le plus fin de cette rentrée 2017 » (Pierre Assouline, La République des Livres, novembre 2017)
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