D.H. Lawrence, L'Officier prussien et autres nouvelles
« Puissance » est le mot employé par les contemporains de Lawrence pour qualifier sa littérature, que ce soit pour la louer ou pour – le plus souvent – la condamner. C'est ce qu'on apprend dans les notices qui accompagnent ce deuxième tome d'une réédition complète, dans une nécessaire nouvelle traduction (Lawrence a souvent été massacré en français) de ses nouvelles, réédition qui s'appuie sur l'édition anglaise de référence établie par l'université de Cambridge. C'est en effet presque exténué par l'emprise des atmosphères décrites et par la force des sentiments exprimés, que le lecteur s'arrache à un livre de Lawrence. Celui-ci lui a fait partager son urgence d'écriture, lui qui écrivait beaucoup et vite, et corrigeait, et réécrivait plusieurs versions, et il lui a fait aimer son style qui passe abruptement de la plus somptueuse métaphore à la plus confondante étourderie. Ainsi, j'aime, moi, ces répétitions qu'on lui a parfois reprochées et que je perçois moins comme une négligence que comme une façon de me considérer vraiment comme une interlocutrice ; le lecteur de Lawrence n'est pas anonyme, il est pris à partie : « mets-toi bien ça dans la tête », semble lui dire l'auteur.
Les nouvelles de ce recueil furent écrites quand Lawrence avait entre vingt-cinq et trente ans. La plupart campent de jeunes adultes suffoqués par leurs désirs et pétrifiés dans leur pudeur. Il s'en dégage un érotisme… puissant. Je recommande leur lecture aux hommes parce que l'évocation des figures féminines est d'une troublante perspicacité. Je la recommande aux femmes parce que la description des corps d'hommes est d'une tout aussi troublante beauté.
Catherine Millet