Exigence : litterature / Recension par Françoise Urban-Menninger

16 mars 2016

Certains écrivains voyagent "dans le livre", d’autres comme Jean-Claude Caër ont besoin "d’éprouver le voyage" dans leur "chair", dans leurs "veines". Ce voyage en Alaska, autrement dit en "grande terre" devient le nôtre au fil d’une lecture qui nous arrache pour un temps à notre routine quotidienne.

 

Ce fil, c’est celui que ressort Jean-Claude Caër pour "l’étirer". C’est à la fois "le fil rouge" de sa vie et "la ligne jaune de la route disparue" qu’il veut "étirer à l’infini".

Après un départ manqué en raison d’une grève des aiguilleurs, le voilà enfin en Alaska pour renouer, comme il l’écrit, "avec le monde de son enfance". En très peu de vers, avec des mots choisis, l’auteur nous plonge dans un univers où nous découvrons tour à tour des oies sauvages, le saumon argenté, un jeune porc-épic mangeant des feuilles, des ours bruns...

Les paysages tels le cratère enneigé du Kukuk Volcano, les fameux totems poles dressés vers le ciel, les baleines sous la pluie, les images étonnantes de grizzlis mangeant des saumons morts sont autant de sources d’émerveillement pour le lecteur qui voyage dans une mise en abîme où son imaginaire compose avec celui du poète.

Nous entrons alors dans ce que Jean-Claude Caër appelle "le poème du non-retour" car nous partageons avec lui cette "immense paix" qui surgit de l’espace, voire de cet ailleurs qui nous fascine et qu’il nous restitue sur la page blanche. Ce voyage, qui a partie liée avec l’enfance et la recherche de l’aventure appréhendée dans les livres de jeunesse, n’est autre qu’une quête initiatique qui prépare l’auteur et par extension nous-mêmes "à notre propre disparition". Le voyage en Alaska permet dans le même temps d’appréhender l’infini tout en pressentant notre finitude.

Lorsque l’écrivain de retour à Paris marche avec son fils aîné près des vignes de Montmartre, il évoque l’angoisse de ce dernier qui "voit ses amis, sa famille, et tous les autres/ Comme des vivants en sursis"" et d’ajouter "Cela le fait pleurer". Et c’est bien pour cette raison, qu’il nomme "l’imminence du Rien", que Jean-Claude Caër plonge "au coeur de sensations nouvelles" afin de devenir, écrit-il, "quelqu’un d’autre que je ne connais pas".

A notre tour, de nous immerger dans cette aventure poétique peu commune et de nous l’approprier pour un voyage intérieur qui nous ramènera sur les terres de notre enfance, sans nul doute la vraie patrie qui fonde notre entité.

par Françoise Urban-Menninger