Gavroche - n°169 - Témoin du sort des ouvriers soviétiques

 Gavroche - n°169 - Témoin du sort des ouvriers soviétiques
01 juillet 2010

Témoin du sort des ouvriers soviétiques

Publié pour la première fois en 1949 avec une présentation de Gabriel Marcel, ce récit relate l'arrestation à Bucarest, la déportation en URSS et la vie quotidienne dans le Donbass de son auteur. Celui-ci, de son vrai nom Rainer Biemel (1910-1987), était né à Brasov, en Roumanie, et appartenait à la minorité allemande de Transylvanie. À partir de 1926, il fit ses études en France, au lycée de Toulouse, puis à la Sorbonne à Paris, avant de devenir journaliste et traducteur de Bernard Brentano, Ernst Gläser, Thomas Mann et Ignazio Silone. Réfugié en zone sud après la débâcle de juin 1940, il décida de revenir en Roumanie l'année suivante après avoir appris que son appartement parisien avait été perquisitionné par la Gestapo. En janvier 1945, il fut arrêté avec les quelque 60 000 Roumains de la minorité allemande et déporté en URSS durant une année.

En une succession de chapitres courts et efficaces, on suit les différentes étapes, péripéties et rencontres de son année de déportation et le récit ne vaut pas que pour ses qualités littéraires, indéniables, mais aussi pour son témoignage rare. On y voit un intellectuel occidental jeté du jour au lendemain dans la condition misérable des ouvriers soviétiques, « libres » ou déportés, au plus bas de l'échelle dans une société prétendant pourtant avoir aboli les classes et n'ayant fait qu'exacerber leur séparation sous le régime d'un collectivisme bureaucratique qui entraîne la lutte de tous contre tous pour le minimum vital.

Vassia, qui donne son nom au livre, est le nom de l'homme – un simple ouvrier soviétique né après l'instauration de l'URSS et n'ayant donc pas connu d'autre société – qui sauva la vie de l'auteur et lui démontra que, même sous un régime totalitaire, la pensée libre et les valeurs morales de la décence commune – comme aurait dit George Orwell – peuvent subsister malgré tout.

Revenu en Roumanie, puis en France, l'auteur participa à des initiatives marginales d'information et de solidarité avec les travailleurs d'URSS, notamment dans le petit milieu des syndicalistes de La Révolution prolétarienne qui, seuls et isolés dans le mouvement ouvrier, maintinrent durant des décennies cette exigence d'entraide avec ceux d'en bas envers et contre tout, refusant de confondre un État oppresseur et les peuples opprimés. Mais surtout il tenta de s'acquitter de sa dette envers son ami Vassia et ses pareils en écrivant ce livre qu'on lira (ou relira) avec émotion pour le bel exemple qu'il donne de gens de peu qui maintiennent simplement et naturellement des valeurs humaines dans un cadre étatique qui fait tout pour les nier et les éradiquer.

                                                                                                            Charles Jacquier