L'Humanité : Dans la tête de Philippe Jaccottet, par Didier Pinaud

 L'Humanité : Dans la tête de Philippe Jaccottet, par Didier Pinaud
02 novembre 2021

Un ouvrage rassemble des textes de l’écrivain décédé, dédiés aux chefs-d’œuvre anciens, au hasard de ses rencontres. 

Philippe Jaccottet a traduit les plus grands livres – par exemple l’Homme sans qualités, de Musil, ou encore la poésie de Hölderlin. Il a lui-même écrit de très beaux poèmes, tout en rédigeant ses carnets, ses pensées, ses choses vues, lues, rêvées, sous le titre générique de la Semaison

Son ami le poète et traducteur Gustave Roud disait qu’il y avait deux espèces d’hommes : ceux qui « meurent sur les saisons » et ceux qui vont sans les voir ni les vivre. Pour les premiers – dont Jaccottet était –, l’hiver est vraiment une mort – et c’est ce qu’il a fait, il est mort, à la fin de cet hiver, à 95 ans. 

Mais, avant ça, il a néanmoins réussi à rassembler quelques-uns de ses écrits sur l’art dans Bonjour, Monsieur Courbet, à mettre la dernière main à des poèmes dans le Dernier Livre de Madrigaux (Gallimard), ainsi qu’à une dernière semaison : la Clarté Notre-Dame (Gallimard), où il dit dans ces trois livres son jardin enchanté, avec ses amis peintres qui restent à découvrir : Charles Chinet, Gérard de Palézieux, Jean- Claude Hesselbarth, Italo De Grandi, René Auberjonois, Giorgio Morandi. 

 

Le culte de l’intériorité
et du silence

Tous avaient tendance à tourner le dos à leur époque, parce qu’attachés à des valeurs – la densité, l’intériorité, le silence – qui pourraient bientôt n’avoir plus de sens... 

C’est en effet un véritable reproche que Jaccottet se fait à lui-même : celui d’avoir cru aux enchantements alors même que le danger est partout. Mais il a toujours eu en tête les deux vers de Hölderlin – dans son hymne Patmos – qu’il a lui-même traduits ainsi : « Mais là où il y a danger, croît / Aussi ce qui sauve ». 

Ces deux vers l’auront guidé toute une vie, comme pour être capable d’entendre jusqu’au bout le chant du loriot, ou celui, aussi, de l’aimable Angelette – car, comme chez Monterverdi, on devient chez Jaccottet ce qu’on lit, ce qu’on entend, une mesure sereine, limpide, qui vous donne le pas sûr et tranquille de tous les chemins de campagne, sans aucun grand mot... 

Par Didier Pinaud