Mêlant autobiographie, journal, prose et images, l’Américain Henri Cole fait de sa poésie « une sorte de photographie thermique de l’homme dans le monde ».
« J’ai toujours été convaincu que la poésie existe en partie pour révéler les capacités de l’âme en matière de compassion, de sacrifice et d’endurance. Pour certains d’entre nous, elle répond à un besoin humain essentiel, comme l’air ou l’eau », écrit le poète américain Henri Cole dans son Paris-Orphée.
Né en 1956 d’un père militaire américain et d’une mère française d’origine arménienne, il a publié son premier recueil de poésie à 30 ans, influencé par Allen Ginsberg, Il se tournera ensuite vers une inspiration plus autobiographique, mêlant journal, prose et réflexion.
Ainsi dans ce Paris-Orphée dont chaque chapitre est une invitation à s’aventurer, aussi loin qu’il est possible, dans l’intimité d’un poète, abeille qui ne cesse de butiner chaque parcelle de la vie et d’en extraire bouts d’histoire, étincelles, observations sur un lieu, un ami, une traduction d’une langue à l’autre…
Mais, dans la lignée d’un Baudelaire et de ses poèmes en prose, d’Aragon et sonPaysan de Paris et de bien d’autres poètes, le cœur brûlant de cette écriture qui semble traverser, comme en marchant sur de la mousse, les hautes futaies d’une forêt, est celui de Paris.
« Ces humides ténèbres où la seule vraie lumière est celle de l’imagination… »
Avec Henri Cole, la ville devient une pulsation, une forme, un circuit court qui navigue sans fin de l’esprit du poète aux rues, cafés, cimetières, jardins qu’il arpente tout au long du jour. « J’aspire toujours à dire quelque chose de vrai, en reliant l’espace intime à l’espace extérieur. » Et, quelques lignes plus loin, « la poésie est peut-être une sorte de photographie thermique de l’homme dans le monde ».
En magicien, à partir de presque rien, une fleur dans une vitrine, une panthère amnésique derrière les barreaux de sa cage, un torse d’Apollon aperçu au Louvre, un crépuscule illuminé des cierges d’une église, Henri Cole transfigure le réel depuis « ces humides ténèbres où la seule vraie lumière est celle de l’imagination… »
Transfigurer, un mot dont se méfie probablement ce poète américain écrivant en anglais, reconnu dans son pays, et baignant depuis son enfance dans la langue française. Henri Cole sait que les langues ne se correspondent jamais tout à fait.
Raconter le réel est un essai de traduction permanente, une approche lente, pas à pas, comme les longues promenades poursuivies d’un bout à l’autre de Paris et les discussions avec la traductrice du livre, devenue une amie, qui réussit là un travail admirable.
Ode à la vie et à l’amour
Contrairement à la fiction, « la poésie n’est pas un mensonge qui profère la vérité. Le poème doit brûler d’une ardente flamme dans sa recherche de la vérité ». Henri Cole est un réaliste, voire un ultra-réaliste. Les photos en noir et blanc qui ponctuent Paris-Orphée sont comme des témoins, des preuves, que nous sommes bien dans la vie.
Le temps « perdu », l’absence d’un métier, d’une place socialement stable sont comme les stigmates de cette quête d’un poème réussi, aussi « juste » qu’il est possible. Et lorsque ce miracle s’accomplit, « il n’est rien dans la vie – à l’exception de l’amour – qui témoigne à un pareil degré de mon existence », écrit Henri Cole. Un pan de réalité révélé au monde.
Chacun des chapitres de ce livre merveilleux résonne de la présence d’autres poètes, dont Rilke, promeneur parisien lui aussi et dont « la voix calme et grave parle dans ses poèmes ». Le dernier des dix-sept chapitres est une longue litanie dont chaque paragraphe commence par « J’aime ».
Ode à Paris : « Pendant quelque temps j’ai vécu ici, où l’appel de la vie est si puissant. Mon âme en a reçu l’empreinte.» Ode à la vie et à l’amour. Car dire « Je t’aime, est… d’une simplicité enfantine : un sujet, je, un complément d’objet, te, s’unissent au verbe aimer pour former un petit bloc sonore mémorable – Je t’aime ».
Pascal Ruffenach