Le cogito du beau
Les éditions du Bruit du temps poursuivent la publication des Œuvres complètes du poète polonais Zbigniew Herbert dont Monsieur Cogito fut interdit dans son pays lors de sa parution en 1974.
Il y a un peu plus d'un an, la parution du début des Œuvres poétiques complètes de Zbigniew Herbert faisait figure d'événement (voir Le Magazine littéraire, n° 513, novembre 2011). Les éditions Le Bruit du temps poursuivent comme promis la publication de ce poète majeur du XXe siècle, dans la magnifique traduction de Brigitte Gautier. Monsieur Cogito, qui figure au centre de ce deuxième tome, avait déjà été traduit (chez Fayard, en 1990, par Alfred Sproede), mais les deux autres recueils le sont pour la première fois.
Cogito est un peu à Herbert ce que Teste est à Valéry : un double fictif, et une allégorie de l'intelligence humaine. Celle-ci, avec M. Cogito, se débat dans les fers du totalitarisme et lui oppose son ironie incomparable. Le même personnage hante Rapport de la Ville assiégée que Herbert, interdit de publication en Pologne après Monsieur Cogito, en 1974, fit paraître à Paris en 1983. Il a tant à nous dire aujoud'hui ! L'un de ses textes les plus forts affirme la conviction que les poètes modernes ont un peu trop vite renoncé à la beauté, alors que celle-ci n'est pas un ornement, mais l'enjeu essentiel de toute résistance. Ce que Herbert dit du totalitarisme soviétique, ne faut-il pas l'appliquer à l'ultracapitalisme mondialisé, tout aussi vaniteux, qui secrète autour de nous sa laideur ? Que la beauté n'est pas un luxe, c'est ce que disent aussi les essais de Herbert sur la peinture hollandaise qui paraissent en même temps. La critique d'art, avec un poète comme lui, est une fête de l'intelligence.
Jean-Yves Masson