Le Monde libertaire, Recension par Patrick Schindler

 Le Monde libertaire, Recension par Patrick Schindler
28 juin 2021

Dyonisios Salomos, issu d’une riche famille est né le 8 avril 1798. Il est le fils légitimé du comte Nikolaos Solomos d’origine crétoise, réfugié dans l’île de Zante à la fin du XVe siècle après la conquête de la Grèce par les Ottomans, et d’Angeliki Nikli, une de ses servantes qu’il épousa la veille de sa mort, en 1807. En 1808, Dyonisios est envoyé en Italie pour y faire ses études à Venise, puis Crémone. Il obtient sa licence de droit en 1817 et écrit ses premières œuvres poétiques, en italien. Il revient sur son île natale en 1818 et rencontre Spiridon Trikoupis qui lui suggère d’écrire ses poèmes en grec. Il s’installe à Corfou en 1825, où il commence à travailler sur sa Femme de Zante lors du second siège de Missolonghi par l’armée turque d’Ibrahim Pacha. Il réécrira ensuite en italien avant de mourir d’apoplexie 1857.

 

Il existe aujourd’hui autant de versions de La Femme de Zante qu’il existe d’éditions. Ce qui rend encore plus obscure l’insoluble énigme de cette nouvelle. Celle [des éditions Le Bruit du temps] est une édition bilingue. S’agit-il d’un poème narratif, d’une satire ou d’un récit prophétique ? Tentative en tous cas, très avant-gardiste pour l’époque, d’inventer une catégorie qui les contiendrait tous. L’histoire est inspirée de scènes réelles auxquelles a pu assister Dionysios, lors du siège et de la chute de Missolonghi. Cependant entrecoupée de rajouts ultérieurs, ce qui ne fait que rajouter une peu plus d’opacité au récit. Ce n’est qu’en 1944 que l’on put lire la première traduction épargnant toute continuité au texte et donc lui gardant intact tout son mystère. Depuis, les publications n’ont fait que se multiplier. Mais entrons sans plus tarder dans le début de l’intrigue. Dionysios (prénom éponyme de l’auteur), un pope retiré dans un monastère, nous y introduit. Revenu de tout, sauf de dieu et des ciels étoilés, il porte un regard désabusé lorsqu’il les transpose à la fin de sa vie, sur les scènes dont il a été le témoin et qui n’ont pas pour autant entamées sa sérénité. Dès les premières lignes, il nous présente ainsi, Zante : « Cette femme au corps tout menu et souffreteux, à la poitrine mâchurée par les sangsues qu’elle y pose pour soigner sa phtisie. » On se croirait devant la Charogne de Baudelaire. Cette femme « à l’âme tordue et mauvaise qui n’hésite pas à afficher ses sympathies pour l’ennemi, alors même que les canons résonnent devant la ville assiégée ». Ce qui va lui attirer la méfiance, puis la haine de la populace. C’est ainsi que nous allons pénétrer dans un univers extraordinaire. Tout au long de l’intrigue, ce ne sont que visions d’apocalypse, malédictions, apparitions macabres, nous laissant une fois parvenus à la fin de ce petit livre, un arrière-goût bien amer, étrange. Parfums de souffre. Dans son discours du prix Nobel de 1963, Gorges Séféris dit ceci, à propos de La Femme de Zante de Solomos : « C’est un texte magnifique qui se grave profondément dans nos esprits […] qui répond aux inquiétudes des nouvelles générations, mais n’a été qu’un commencement. »

 

Par Patrick Schindler