Le Nouvel Observateur - Le coup de cœur de Didier Jacob : Retour de Babel

 Le Nouvel Observateur - Le coup de cœur de Didier Jacob : Retour de Babel
01 2011

Le coup de cœur de Didier Jacob : Retour de Babel

« Je suis intoxiqué par la Russie, je ne pense qu'à la Russie », déclarait Isaac Babel à un ami russe, en 1927. Écrivain juif né en 1894 à Odessa, cet élève de Gorki, dont les textes sont pour la première fois disponibles en France dans leur intégralité connue (beaucoup de manuscrits furent, semble-t-il, détruits par le NKVD au moment de son arrestation), et qu'on connaît surtout pour Cavalerie rouge, fut aussi bien l'un des pionniers du journalisme littéraire qu'un observateur hors pair, à la Maupassant, de la réalité russe dans les années 20. Et surtout, le grand manitou de la prose mitraillée : « Nous sommes à la lisière d'une forêt, les chevaux broutent, les héros du jour sont les aéroplanes, l'activité aérienne n'arrête pas de s'intensifier, attaque d'aéroplanes, il y en a toujours cinq ou six qui passent et repassent, bombes à cent pas, j'ai un hongre cendré, une monture épouvantable. » Si le bolchevique, qui ne faisait pas seulement que sommeiller en lui, accoucha de quelques textes complaisants envers le régime (mais comment aurait-il pu en être autrement ?), Babel avait trop de talent pour survivre aux purges staliniennes. Il fut arrêté, puis fusillé en 1940 à Moscou. Sous la torture, il avait admis avoir été un suppôt de la contre-révolution avant de se rétracter.

                                                                                                      Didier Jacob