Le Monde : chronique, de Mathias Énard

 Le Monde : chronique, de Mathias Énard
24 octobre 2019

IL REVIENT À LA SIMPLICITÉ INIMITABLE DU POÈTE UMBERTO SABA (18831957), ici traduit par le magnifique Gérard Macé, de nous ramener à Trieste – il serait plaisant d’imaginer (quelques instants, quelques heures, quelques jours) que l’ancien port des Habsbourg, rattaché à l’Italie en 1921 puis annexé par l’Allemagne nazie agonisante, avant d’être la capitale de l’improbable « Etat libre de Trieste » jusqu’en 1956, devienne enfin cette capitale de la Méditerranée, de l’Europe, du monde qu’elle aurait dû être… Umberto Saba, le libraire de la Via San Nicolo, où se trouvent non seulement encore sa librairie, mais aussi sa statue, avec sa casquette et sa canne, Umberto Saba le modeste nous fait le récit, dans les petites prosessouvenirs qui composent Comme un vieillard qui rêve, de moments uniques qui ont marqué son existence – l’achat de sa librairie d’occasion, sa rencontre avec Italo Svevo, avec D’Annunzio ; comment il aperçut Adèle nue dans son baquet, ou mangea un mémorable plat de rougets autour duquel fut prononcée cette sentence définitive : « Quelquefois, malgré votre sale caractère, c’est tout de même un plaisir, monsieur Saba, que de vivre en votre compagnie. »

Et on acquiesce tous, et on pleure, et on reprend un Spritz.

Par Mathias Énard