Jacques Callot (1592-1635) fut un maître incontesté de la gravure et de l’eau-forte dans le premier tiers du XVIIe siècle. Il a laissé près de 1 500 gravures et autant de dessins. Né à Nancy, faisant son apprentissage à Rome puis se rendant à Florence, il reviendra dans sa région natale en 1621. Il connaîtra les Pays-Bas puis Paris. Dans toutes ces villes, Callot a été près des puissants de son temps et a la plupart du temps travaillé pour des commandes qui lui étaient faites. On peut facilement imaginer qu’il a été un témoin particulièrement précieux de son temps et c’est justement ce témoignage qui nous est donné à imaginer grâce à la plume inspirée de Paulette Choné (spécialiste renommée dans l’histoire de l’art des XVIe et XVIIe siècle et notamment dans l’art lorrain). Renard-Pèlerin, nous laissons au lecteur le soin de découvrir la signification de ce titre mystérieux, est le récit de ces Mémoires qui ouvrent les portes de l’univers de l’artiste, mais également de l’observateur averti qu’il fut toujours. Nous accompagnons ainsi l’artiste, chronologiquement et à l’image d’un journal, dans la progression de son art et de son époque. Et là, la magie opère ! Jacques Callot revit littéralement dans ces écrits à la première personne…. Callot revit en effet sous nos yeux avec ses soupirs d’aise ou d’agacement, avec ses traits incisifs, avec une lucidité qui impressionne le lecteur du XXIe siècle. Il apprend vite à connaître les rouages du pouvoir et de la cour, il sait se faufiler entre les nombreux pièges d’une époque troublée (les terribles guerres de religion), mais avant tout, il est un amoureux de la vie. Callot, par son travail d’artiste, a appris à observer et même à observer grâce à une méthode bien particulière : son maître lui rappela qu’« il y a toujours quelqu’un qui ne voit pas bien ce que tu as la prétention de montrer […] tu dois te mettre à la place de celui qui ne voit pas bien, qui veut absolument repaître ses yeux, et qui est obligé de se mettre sur la pointe des pieds » (p. 56). C’est là le fil directeur de ces mémoires, Callot aura toujours cette délicatesse de suggérer ce que nous n’aurions pas su voir, sans pour autant nous l’asséner…
Il suffit de regarder avec attention son œuvre Le Massacre des innocentspour réaliser ce regard décentré qui propose une terrible scène de massacre dans la rue sous le regard froid des puissants au balcon d’un palais ou bien l’une des scènes poignantes de La Parabole de l'Enfant prodigue où l’on voit toutes les personnes affairées dans la maison à évaluer la part d’héritage du fils réclamant son bien alors qu’un chien en plein milieu de la pièce est entrain de faire ses besoins en assistant au triste spectacle !
Le drame est associé à la dérision, l’espérance à la désillusion, sans que ces contraires s’opposent, mais plutôt s’éclairent l’un l’autre, démontrant, une fois de plus, la complexité de l’être humain. Nous voyageons très loin grâce à Jacques Callot, et, j’allais l’oublier, Paulette Choné ! Car c’est l’effet extraordinaire de ces mémoires proposées par Paulette Choné que de nous faire oublier sa part de responsabilité dans ce récit et d’être persuadé que par sa plume, c’est le célèbre artiste qui s’exprime encore dans ces pages inoubliables. Le Renard-Pèlerin est un livre intense qui laisse cette étrange impression d’une présence ayant traversé les siècles et dont il est difficile de se défaire après lecture…