L'Express - Les pointes sèches d'Ernest

 L'Express - Les pointes sèches d'Ernest
24 juin 2011

Les pointes sèches d'Ernest

Ernest Hemingway n'a jamais tant exprimé son idéal de concision que dans In Our Time/De nos jours, recueil de chapitres lilliputiens sur la Première Guerre mondiale, les corridas, l'exécution des ministres du roi Constantin de Grèce… publié en version bilingue.

L'ouvrage a été imprimé une seule fois en un volume, en 1924, sur les presses de William Bird, dans l'île Saint-Louis, à Paris, où vivait le jeune écrivain. Dans les éditions ultérieures, le texte a été inséré, enfoui sous une cascade de nouvelles. Comme pris en sandwich. C'est d'ailleurs dans cet agencement que les Nouvelles complètes (Gallimard/Quarto, 1999) les porteront à la connaissance des Français. Ces haïkus d'outre-Atlantique se rappellent à notre bon souvenir dans leur nervosité implacable. La prouesse littéraire est telle qu'elle décroche même un sourire à un Francis Scott Fitzgerald plongé dans un nihilisme nimbé de gin. « Et nombre d'entre nous, qui sommes pourtant bien las [...], note l'auteur de Gatsby, avons retrouvé un peu de notre enthousiasme [...]. » C'est dire.

Extrait

« Nous étions dans un jardin à Mons. Le jeune Buckley revint avec sa patrouille d'une virée qu'il était allé faire de l'autre côté de la rivière. Le premier Allemand que j'aperçus était en train d'escalader le mur du jardin. Nous attendîmes qu'il eût passé une jambe pour le canarder. Il transportait un équipement extraordinaire et il eut l'air terriblement surpris puis il tomba dans le jardin. Trois autres escaladèrent le mur un peu plus loin. Nous les descendîmes. Ils y passèrent tous de la même façon. »

[En version originale, l'efficacité est plus probante encore. Ainsi, des deux dernières phrases : "We shot them. They all came just like that."]

                                                                                                     Emmanuel Hecht