Paris est une ruche
Chroniques de Henri Cole
Les plus beaux livres sur Paris apprennent à lire plus qu’à regarder. Dans Paris-Orphée, qui réunit des chroniques parues dans le New Yorker, le poète américain Henri Cole se promène. La tour Eiffel et la grande roue figurent au programme. Au Luxembourg, il rend visite au rucher de l’école d’apiculture, dont le bourdonnement lui est une sorte d’amplificateur de l’activité cérébrale. Il s’arrête, note qu’on ne peut traduire exactement en français « I am a lonesome », ou « I am a loner », et pense : « Ma compatriote Marianne Moore disait que la solitude est le remède contre l’isolement. » Quand il se rend au Jardin des plantes, il se souvient qu’il en a appris l’existence chez Rilke.
A Montparnasse, la tombe de Baudelaire conduit à une autre poétesse, Elizabeth Bishop. Dans une lettre à Robert Lowell, elle explique que le mot « charbon » fait la valeur de ce vers du Balcon baudelairien : « Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon ». Cole, de son côté, éclaire un passage d’un poème de Bishop, Quai d’Orléans,où les « fossiles de feuilles » renvoient à un atroce accident. L’ami James Lord repose dans ce même cimetière Montparnasse (ainsi que Susan Sontag), et mène à Gertrude Stein et aux racontars d’Hemingway. A la Closerie, Cole a rendez-vous avec Claire Malroux, la poétesse et traductrice de Wallace Stevens, d’Emily Dickinson. C’est depuis les poèmes de cette dernière, et de Sylvia Plath, qu’il connaît les engoulevents : il y en a justement un chez le taxidermiste Deyrolle. Et tout au long de ces promenades, il s’agit de travailler au poème, de relier « l’espace intime à l’espace extérieur. Je pense que tant que cette dimension intime subsistera, je voudrai travailler le langage pour révéler ce qui existe - en particulier l’horreur, la folie et la cruauté. La poésie est peut-être une sorte de photographie thermique de l’homme dans le monde. »
Claire Devarrieux