Callot extraordinaire
It could be a fox, but it would call it a dog, the kind of dog Callot liked, with the lion haircut, keeping a tight rein on a sort of dinosaur vomiting spears, halberds, arrows and guns at the hermit. Or it could be a pilgrim, yes, with the shell on the shoulder, the staff between the paws and the flask at the belt. It is that ‘fox-pilgrim’, that ‘renard-pèlerin’, as the Lorenese artist etched it in the Temptation of St Anthony (second version), who gives its mysterious title to the most unusual and astounding book that Paulette Choné has devoted to Jacques Callot (Renard-pèlerin : Mémoires de Jacques Callot écrits par lui-même, Paris, Le Bruit du temps, 2009, 264 pp., I b. & w. ill., €22).
Strange the title, ambiguous the subtitle. Extraordinary also the writing, the style, the vocabulary of Choné, who gives the impression of creating her own language, graceful, pleasant, flowery, suggestive and therefore effective. At the beginning, a lot of short notes, prose poems of a sort; perhaps she had in mind an emblem book, in which Callot's character got naturally included.
To dig in the archives often seems boring to those who do not know how to search or find: next to the expected nuggets a lot of scoria comes to the surface that one doesn't know what to do with at the time except to put it aside in some casket: a name, a craft, a strange deal, a forgotten object, a weird situation, an uncommon word – and all that ordinary stuff describing the everyday life around the stars that we are interested in: in this way Choné has come to know by their first name all the neighbours of Callot's familly, and a lot more about the printmaker himself in the Lorenese, Roman and Florentine archives, in published and as yet unpublished documents.
The organization of the ‘memoirs’ is chronological. The artist, sick, convinced he is at the end of his life, drafts them at the sime time that he is composing his second version of the Temptation, hoping for some consolation for the unfortunate destruction of the first one, unknowingly concluding the cycle of his prints with a final masterpiece. These reminiscences are written for the attention of a supposed mistress, created by Choné at the same moment she describes the St Amond print (the only illustration in the book, used as a frontispiece) that she so intently scrutinized that she detected in it a secret love story: a triangle she draws between the glances of a young woman seated, lost in her thoughts, those of an unpleasant man who is listening no more than her to the saintly preacher, and those of Callot, half masked by his own print frame.
Such is the book, plaiting ‘true’ and ‘false’ into a precious dialectic that bewitches the reader lost in that world of images. A mixture of invention and commentary. It is so remarkable that, after reading the postscript where the author herself admits to some confusion, one begins not to believe in the apocryphal nature of those memoirs and even hopes they could be genuine. Working in small strokes, in short chapters of one or few pages, the author avoids overwhelming the readers with her scolarship. On the contrary, she arouses their curiosity. She tries to bring back to life the moment when the works were created. Although she avoids the picaresque vein associated with the name of Callot since the Romantics, Choné gives flesh to the caracter, gives him style and judgement, a sort of innocence that makes him most likeable. And we love to love the artists whose works we love.
The book is a delight for Callot connoisseurs, who can always believe themselves to be among the happy few able to catch the subtle allusions that Choné scatters throughout. She just glides, not stressing the references to the prints, even if a large part of the œuvre shows through. Readers would be well advised, for their own satisfaction and to make sure they are able to give the right answers to the author's quiz, to keep on hand the catalogue of the large exhibition organized at Nancy in 1992 for the fourth centenary and, next to it, the catalogue of the drawings by Daniel Ternois.
How to read this book? Certainly not all in one go. One has to savour it, to nibble it. Moreover, it can bear several readings, often going back and forth. But how to understand it? As a – very successful – straightforward literary exercice? As an attempt – also successful – to reconstruct an epoch's atmosphere? As an essay on Jacques Callot? Certainly. All of that at the same time and nothing of that? What remains for the reader is the supreme delectation of having taken part in an uncommon experiment. I fear, however, that this book, which deserves to be more widely read, will remain a hapax legomenon because it is almost impossible to translate.
Maxime Préaud
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Il ressemble un peu à un renard, admettons, mais il n’a pas la queue touffue qui fait la fierté du goupil. Je dirais plutôt un chien, genre caniche tondu à la lion, comme Callot les affectionnait, avec de grands pieds griffus et des mains de même tenant en bride l’espèce de tricératops à roulettes dont la mise à feu postérieure déclenche une bordée d’armes de toutes sortes à destination de l’ermite. Mais pèlerin, certainement : en témoignent non pas l’énorme lorgnon ni le chapeau à la forme, mais bien le scapulaire orné de la coquille, entre les pattes le bourdon et le rosaire aux gros grains, ainsi que la gourde attachée à la ceinture. C’est cette figure ambiguë, à la fois monstrueuse et comique, telle que la grava l’artiste lorrain dans sa seconde version de la Tentation de saint Antoine, qui donne son titre mystérieux au livre étonnant que Paulette Choné a consacré à Jacques Callot et qu’elle vient de publier.
Si le titre est étrange, le sous-titre est équivoque. Plus d’un pourrait se laisser prendre, qui ne serait pas immédiatement démenti par l’écriture, le style et le vocabulaire, même si Paulette Choné, en l’occurrence, donne l’impression de créer sa propre langue, gracieuse, fleurie, évocatrice et donc efficace, ce qui n’est pas un des moindres mérites de l’ouvrage. Au départ, une succession de notes d’écriture, sortes de petits poèmes en prose, sans doute avait-elle dans l’esprit quelque livre d’emblèmes, dans lesquels la figure de Callot est venue naturellement s’imposer.
La recherche dans les fonds d’archives paraît souvent ennuyeuse à ceux qui ne savent ni chercher ni trouver : à côté des pépites espérées affleurent tout un tas de scories dont sur l’instant on ne sait trop que faire sinon les serrer dans quelque cassette à part : un nom, une profession, un marché bizarre, un objet oublié, une situation curieuse, un mot inusité, et puis le tout venant qui décrit le quotidien environnant les vedettes dont on cherche à pénétrer les secrets ; ainsi Paulette Choné en est-elle venue à connaître par leur petit nom tous les voisins de la famille Callot. Et c’est cette écume des jours qui permet de donner quelque densité au monde flottant dans lequel ont erré nos ancêtres. Autrement dit, l’art d’accommoder les amuse-gueule exhumés des minutes notariales de Nancy, des archives de Rome ou de Florence, pour lier et relier les points d’ancrage que sont les documents sûrs, déjà publiés ou encore inédits.
La disposition des mémoires est chronologique. L’artiste, malade, persuadé qu’il est au soir de sa vie, les rédige alors qu’il est occupé à composer la deuxième version de la Tentation de saint Antoine, pour se consoler enfin de la malencontreuse destruction de la première, clôturant sans le savoir par un dernier chef-d’œuvre le cycle de ses eaux-fortes. Il destine ces souvenirs à une maîtresse supposée, née sous la plume de Paulette Choné au moment où elle décrit l’estampe de Saint Amon (la seule illustration du livre, figurant en frontispice), qu’elle a observée au point d’y déceler la trame d’un roman d’amour secret : un triangle qu’elle dessine entre les regards d’une jeune femme assise, perdue dans ses pensées, ceux d’un homme au chaperon revêche, qui n’écoute pas davantage le sermon du saint homme, et d’un Callot à demi masqué par le bord de sa propre gravure.
Le livre est ainsi, tressé de « vrai » et de « faux » dans une dialectique précieuse qui enchante, ou ensorcelle, son lecteur égaré dans ce monde d’images. Mélange d’invention et de glose. Cela est si remarquable que, une fois terminé la postface dans laquelle l’auteur elle-même entretient quelque confusion, on se prend à ne pas croire au caractère apocryphe de ces mémoires, à souhaiter pour le moins qu’ils soient authentiques. Procédant par petites touches, par courts chapitres d’une ou de quelques pages, l’auteur ne nous assomme pas de son savoir mais au contraire pique notre curiosité. Elle tente de ressusciter les moments de la création des œuvres. Sans tomber dans la veine picaresque à laquelle le nom de Callot est associé depuis les romantiques, Paulette Choné donne chair au personnage sans jamais s’intéresser aux bas morceaux, elle lui donne de l’allure et du jugement, une certaine innocence qui nous le rend éminemment sympathique. Et nous aimons aimer les artistes dont nous aimons l’œuvre.
L’ouvrage fait la délectation de l’amateur de Callot, car il peut toujours se croire un des rares capables de saisir les subtiles allusions que Paulette Choné y dissémine. En effet, elle effleure seulement, glisse sans appuyer sur les références aux estampes, même si une bonne part de l’œuvre y transparaît. Aussi ledit lecteur aura-t-il soin, pour se renforcer dans sa satisfaction, pour confirmer qu’il a bien répondu à l’énigme proposée par l’auteur, de tenir sous sa main le catalogue de la monumentale exposition tenue à Nancy en 1992 à l’occasion du quatrième centenaire et, à côté, le catalogue des dessins rédigé par Daniel Ternois.
Comment lire ce livre ? Certainement pas d’une traite. Il se déguste, se grignote. Il supporte d’ailleurs aisément plusieurs lectures, plusieurs allers- retours. Et comment le comprendre ? Comme un exercice – parfaitement réussi – d’écriture, purement littéraire ? Comme une tentative – également réussie – de restituer l’atmosphère d’une époque ? Comme un essai sur Jacques Callot ? Sans doute. Tout cela à la fois et rien de cela ? Demeure le plaisir extrême d’avoir en lisant participé à une expérience peu commune. Courageuse, et même audacieuse, y compris pour son éditeur qu’il faut ici féliciter pour la qualité de cette publication, où la seule coquille que j’aie su repérer est celle que porte le « renard-pèlerin ». Je me demande toutefois si cet hapax, qui mérite à mes yeux la plus large diffusion, supportera la traduction.
Maxime Préaud