Revue des deux mondes, Recension par Mikaël Gómez Guthart 

 Revue des deux mondes, Recension par Mikaël Gómez Guthart 
25 juin 2021

Ce voyage réalisé par Ossip Mandelstam, de Moscou jusqu’aux confins du Caucase, de mars à octobre 1930, est le dernier qu’il effectue de son plein gré. En 1934, il est « relégué » dans l’Oural pour avoir écrit, ou plutôt commis, les seize vers composant sa sulfureuse Épigramme contre Staline. Ces tableaux fragmentaires, dans la nouvelle traduction de Jean-Claude Schneider, agrémentés pour l’occasion de leurs brouillons, sont une incursion que l’on pourrait presque qualifier de spéléologique, de par la profondeur de l’exploration au tréfonds de l’abîme intérieur du poète. Ce dernier perçoit en effet dans les paysages arméniens un lointain biblique ou plus généralement mythologique : « Des ossements jaunis, reliefs de pique-niques abandonnés par les pèlerins venus des alentours, jonchent comme chez Homère tout le sol de l’île. » Ce périple introspectif, sans réelle recherche de continuité apparente, se permet des détours au Musée d’art moderne occidental de Moscou que seul l’esprit de composition du poète permet d’associer. On y trouve en outre le témoignage écrit de sa « seconde naissance », pour reprendre la formule de Serena Vitale dans son éclairante postface. Physiquement amoindri et réduit à un silence presque total depuis plusieurs années (sa poésie ayant été interdite en 1923), il retrouve lors de ce périple 

arménien le goût de l’écriture aussi bien en vers qu’en prose. Les descriptions lumineuses des nuages de la plaine de l’Ararat, du mont Alaghez ou des hautes herbes des steppes de l’île de Sevan, sont comme autant de pièces d’un puzzle constituant les paysages de l’âme d’un des plus grands poètes du XXe siècle. Ce Voyage en Arménie, publié en 1931 dans les colonnes de la revue Zvezda (L’Étoile), la dernière œuvre éditée de son vivant, consiste moins en un récit de voyage, au sens le plus usuel, qu’en une succession d’instantanés, telles les études préparatoires d’un artiste.

Par  Mikaël Gómez Guthart