Revue des Deux Mondes - « Lettres 1926-1955 »

 Revue des Deux Mondes - « Lettres 1926-1955 »
01 2014

« Lettres 1926-1955 »

Staël écrivait comme il peignait, dans la liberté de sensations ardentes. La correspondance ici réunie rassemble des éléments déjà publiés chez plusieurs éditeurs, auxquels viennent s’ajouter plus de deux cents lettres inédites formant trois ensembles : les lettres à sa seconde femme, Françoise Chapouton, celles à son grand ami le collectionneur Jean Bauret et celles à Jeanne Polge, l’amour impossible et fatal de la fin de sa vie.

À une question que lui posait le Museum of Modern Art de New York sur sa philosophie, Staël répondit : « Je veux réaliser une harmonie. Je me sers d’un matériau qui est la peinture. Mon idéal est déterminé par mon individualité et l’individu que je suis est fait de toutes les impressions reçues du monde extérieur depuis et avant ma naissance. » II aurait pu être écrivain. Son style unique, dès son plus jeune âge, en témoigne. Mais à l’adolescence c’est la peinture qui l’emporte. Que ce soit à ses parents adoptifs, les Fricero, à sa femme, à sa fille Anne, à ceux qui accompagnent son élan créatif, les poètes René Char et Pierre Lecuire, le galeriste Jacques Dubourg et les marchands Theodore Schempp et Paul Rosenberg, chacune de ces lettres rend compte de l’âme volcanique et de la passion de peindre qui habita Nicolas de Staël jusqu’à sa mort. On lit cette correspondance avec l’impression d’être au plus près de l’acte créateur, dans son quotidien de difficultés, de tendresse et de générosité pour ses proches, de vertige, de noblesse et de dédain pour tout ce qui appartient à l’ordre du mercantile, dans son désir continu de renouvellement, dans son « inévitable besoin de tout casser quand la machine tourne trop rond ». D’une dimension psychique hors norme, d’une taille aussi démesurée que ses affects et ses perceptions, Staël balaye objections, médiocrités, afféteries (« Pas de symbole, rien à faire, pas de complication, si ce n’est à l’unité suprême »). à partir de son voyage au Maroc, à 22 ans, Staël s’engage dans un combat épuisant pour faire venir au jour cette œuvre picturale si nouvelle, dont nous n’avons pas fini de découvrir les envoûtements (« On ne peint jamais ce qu’on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu »). Un dernier voyage, en Sicile celui-là, marquera l’apogée de sa lutte avec l’ange.

Le remarquable commentaire et les notes de Germain Viatte rythment cette correspondance, mettant chaque fois en perspective le contenu des lettres, tout en apportant des précisions pleines de délicatesse grâce auxquelles ce recueil devient un monument biographique et intuitif précieux pour tous ceux qui s’intéressent à l’œuvre de Staël.

                                                                                      Édith de La Héronnière