« Poèmes »
De Sôseki, on connaît les romans bien sûr — Je suis un chat, le Pauvre Cœur des hommes, Oreiller d’herbes, Clair-obscur, autant de titres qui ont profondément marqué le Japon moderne de l’ère Meiji —, mais aussi un choix de haïkus. Parallèlement à ses œuvres principales, il a aussi pratiqué un autre genre, illustration de sa grande variété, le kanshi, « poème en chinois classique » qui se compose le plus souvent d’un quatrain ou d’un huitain et qui obéit à des règles bien précises. Il est arrivé que cette pratique donne lieu au Japon à de pâles imitations de la grande poésie chinoise.
Tout en s’inscrivant dans cette tradition, Sôseki réussit à se plier aux exigences de l’exercice tout en apportant sa sensibilité et les évolutions de sa pensée. L’édition proposée, trilingue, permet de suivre le cheminement de l’écrivain de 1883 au soir du 20 novembre 1916, soit quelques jours avant sa mort, survenue le 9 décembre.
Ce recueil serait une collection d’éclats autobiographiques dont le lecteur suivrait les variations météorologiques : « Venu prendre gîte en ces temples de montagne, / Je porte sur mes habits celui d’un vieux moine. / Tout au fond d’un serein rêve recueillement. / Par la fenêtre, les blancs nuages qui passent » (Sans titre, 31 juillet 1910). Mieux qu’aucun autre de ses contemporains, Sôseki a su capter l’essence d’un Japon en pleine mutation tout en accordant un soin particulier à son esthétique immuable. Même écrits en chinois, ses poèmes n’échappent pas à ce constat. Cette recherche spirituelle s’accompagne d’une persévérance dans la solitude, d’une quête vers les hautes exigences du dépouillement : « Rejeter les livres pour ne regarder que les montagnes ! »
Charles Ficat