Revue Lexnews - Nicolas de Staël, « Lettres 1926-1955 »

 Revue Lexnews - Nicolas de Staël, « Lettres 1926-1955 »
08 septembre 2014

Nicolas de Staël, « Lettres 1926-1955 »

L’ensemble des lettres du peintre Nicolas de Staël, dont nous fêtons le centenaire de la naissance, fait l’objet d’une belle parution par les éditions Le Bruit du temps. Il n’est pas exagéré de considérer ces écrits comme une part essentielle de l’artiste, parallèlement à son œuvre picturale, une part souvent secrète – 200 lettres inédites s’ajoutent à celles qui étaient auparavant connues – qui permettent grâce aux précieux commentaires de Germain Viatte de mieux approcher la personnalité d’un homme marqué très jeune par l’adversité. La famille de Nicolas est en effet touchée de plein fouet par le vent révolutionnaire de 1917. Son père, le général Vladimir de Staël subira une retraite anticipée puis l’exil en 1919 en Pologne avec toute sa famille. À l’âge de 8 ans, Nicolas perd ses deux parents et se retrouve seul avec ses deux sœurs. C’est un enfant marqué par une enfance chaotique qui sera recueilli à Bruxelles par les Fricero, une famille accueillant des émigrés russes où il fera ses études secondaires, puis l’Académie des beaux-arts comme en témoigne la première lettre datant du 31 janvier 1926 adressée à Emmanuel Fricero, et qui débute par « Bien cher Papa »… C’est en gardant à l’esprit tout au long de cette correspondance la manière tragique dont Nicolas de Staël se donnera la mort à l’âge de 41 ans à Antibes en 1955 que nous découvrirons cette vie éphémère et pourtant si fertile. C’est en effet une fertilité incroyable qui se dégage avec une poésie et une sensibilité à fleur de peau de ces lettres rédigées à l’attention de Jeanne Polge ou Françoise Chapouton ou encore de ses proches… La lettre adressée à sa mère adoptive datant de 1934 permet déjà d’avoir une idée du regard porté par le jeune homme de vingt ans sur un paysage découvert en quittant Grenoble : « …un massif puissant et rocailleux en peine lumière – radieux. Il semble un diamant aux mille couleurs fortement encastré dans le vieil or des blés qui ornent la vallée. Dans ce diamant, les gris pâles de Versailles se fondent aux gris-verts, rouges, bleus avec harmonie ; au sommet quelques parcelles de nacre scintillent au soleil… ». L’œil de l’artiste est déjà formé, nous savons qu’il ne regardera jamais les éléments tout à fait comme les autres et ce n’est qu’un début… Les nombreux voyages en Espagne opèrent une séduction immédiate et ce qu’il observera là-bas marquera définitivement sa peinture. Le peintre n’opposera pas la peinture abstraite à la peinture figurative et les multiples témoignages réunis dans ces lettres inspirées par une rare sensibilité évoquent plutôt une réunion de ces contraires : « Une peinture devrait être à la fois abstraite et figurative. Abstraite en tant que mur, figurative en tant que représentation de l’espace. » Les différents niveaux de la peinture de Nicolas de Staël se mettent en place à la lumière si essentielle du Maroc et à l’inspiration de l’éternelle Italie. Le soleil inonde ses toiles et les amitiés entrelacent des instants de complicité avec René Char notamment avec des interstices sidérants de poésie et de peinture. La poésie est peinture, mais l’inverse est vrai aussi et l’inquiétude en rythme souvent les élans et les gouffres : « Cœur, votre humble serviteur et malade, harassé de drogues absurdes pour son cœur. J’ai besoin d’une sorte de coma un moment, Suzanne. Dès que j’en sors je viendrai vous aimer davantage. » (19 août 1952). Les douleurs s’accumulent, les inquiétudes oppressent le cœur de l’artiste avec ces réveils titubants qui lui font dire - frêle esquif – qu’il a besoin d’air pour remplir ses poumons… C’est en direction de l’azur méditerranéen que se conclura ce parcours fait d’alternance de couleurs froides et chaudes comme l’âme de l’artiste, un destin qui aurait pu n’être que tragique si l’art n’en avait sublimé le terme. À noter la belle postface de Thomas Augais « Peindre et écrire » qui permet de mieux entrer encore dans les rapports étroits entretenus par Nicolas de Staël avec l’écriture et la poésie.

                                                                               Philippe-Emmanuel Krautter