Livr'arbitres, John Cowper Powys dans les landes du désir, par Frédéric Chef

14 avril 2021

En 1916, John Cowper Powys publie Rodmoor, dédié aux mânes d’Emily Brontë. Tragique classique, anglais jusque dans ses tasses de thé, ce roman ténébreux puise son énergie maléfique dans le Norfolk, à l’est des « Hauts de Hurlevent ». De retour d’Amérique, Sorio s’installe dans une maison sur la côte de l’East Anglia, à l’invitation de l’élégante Nance Herrick. Il est aussitôt sous le charme occulte et menaçant qui plane sur les parages. Une communauté de gens bizarres environne ces lieux étranges : un docteur désabusé, un prêtre empathique, Philippa, « prêtresse d’Artémise » vampirisée par l’amour destructeur qu’elle éprouve pour Adrian. Ce dernier est tiraillé entre les deux postulations de la vie sentimentale : l’attachement presque mondain et la profonde solitude. Le flux et le reflux sur la plage symbolisent cet écartèlement viscéral de tout être. Chacun est traversé en effet par les vagues intérieures, les mouvements contradictoires de l’inconscient. 

Mais le personnage principal de ce récit envoûtant, c’est le décor lui-même, distillateur de tous les maux, diabolique : « On s'y désintègre, vous savez, on y perd son identité et on oublie les règles [....] » Magnétique, la nature conduit chacun à bafouer son bonheur et à se perdre. Comment s’évader en supprimant ces contradictions ? En laissant venir nos actes, purs instruments d’une liturgie cosmique. Amaury Nauroy le suggère dans sa préface : « (…) nous sentons tout au long du livre (...) une porosité entre le monde visible, accessible, palpable et tout un pan de ce réel, moins cadastré, auquel nous accédons parfois à la faveur d’un événement rare et authentique comme l’amour, la folie ou la mort. »

Par Frédéric Chef